Avant de passer à d'autres poésies chinoises classiques que celles des Tang, je vous propose le classique des classiques... Un long poème de 120 vers de 7 syllabes (7 caractères donc), soit 840 caractères! C'est l'un des plus longs poèmes chinois, mais pas encore le plus long!
Ce pendant, il sera certainement le plus long proposé ici, et dans un premier temps je pense surtout vous présenter le texte original et la traduction, le pinyin attendra un jour prochain.
Comme je l'ai déjà expliqué à une de mes visiteuses, la littérature chinoise est rarement gaie, surtout lorsqu'elle parle des affaires de coeur, et cette fois encore la mélancolie, la tristesse, le désarroi sont au rendez-vous. Le titre le dit clairement : "Le chant des regrets éternels".
Son auteur, Bai Ju-yi
白居易, ne connu pas Li Bai, Meng Hao-ran ni Du Fu, les grands poètes Tang, mais il vécu la génération suivante (772-846). Il est célèbre pour avoir préféré la poésie classique, plus sobre, plus simple, à celles de ses illustres prédécesseurs, et qu'il ne conservait que les poèmes que ses serviteurs comprenaient. Cette légende vient surtout du fait qu'il s'inspira essentiellement des chants populaires dans son oeuvre littéraire.
Pour le poème qui suit, l'histoire est inspirée d'un fait réel : la mort de la belle Yang, concubine impériale de l'empereur Xuan Zong des Tang, assassinée le 15 juillet 756 par les soldats de la garde impériale alors qu'ils fuyaient Chang'An (actuellement Xi'an) devant l'avancée des troupes du rebelles An Lu-Shan.
Pour les divers lieux qu'évoque le poème voici une brêve explication :
Yuyang : Lien d'où partit la rébellion d'An Lu-Shan
Emei shan : une montagne sacrée du centre de la Chine, au Sichuan actuel.
Shu : royaume du centre sud de la Chine, mythiquement célèbre entre autre dans l'
Art de la Guerre de Sunzi.
Le relais de Mawei : à 50 km de Chang'An, le lieu exacte où Yang fut exécutée.
Xuan Zong : de son nom personnel Li Longji, régna de 712 à 756. Roi faible et manipulé, il se laissa entre autre dirigé par l'entourage de chère et tendre concubine, Yang Gufei (Gufei désignant sa position de première concubine).
Révolté de cela, le général An Lu Shan monta une rébellion. Il abdiqua pour laisser le trône à son fils Suzong. Exagérant les risques d'une invasion barbare, ce dernier réussit à se faire confier une armée considérable, avec laquelle il marcha sur la capitale.
Cette période mit la Chine à feu et à sang. C'est lors d'une fuite que Xuanzong se retrouva être le triste témoin de l'assassinat de sa belle par sa propre garde personnelle mutinée.
Le coeur brisé, il abdiqua en l'honneur de son fils, Suzong, qui défit le rebelle.
L'histoire de Yang Gufei inspira aussi un film au grand réalisateur japonais Keiji Mizoguchi : "
L'impératrice Yang Kwei Fei" en 1955, très librement adapté!!
La Concubine Yang d'après le peintre Chen Hong Yuan
长恨歌 白居易
汉皇重色思倾国,
御宇多年求不得。
杨家有女初长成,
养在深闺人未识。
天生丽质难自弃,
一朝选在君王侧。
回眸一笑百媚生,
六宫粉黛无颜色。
春寒赐浴华清池,
温泉水滑洗凝脂。
侍儿扶起娇无力,
始是新承恩泽时。
云鬓花颜金步摇,
芙蓉帐暖度春宵。
春宵苦短日高起,
从此君王不早朝。
承欢侍宴无闲暇,
春从春游夜专夜。
后宫佳丽三千人,
三千宠爱在一身。
金屋妆成娇侍夜,
玉楼宴罢醉和春。
姊妹弟兄皆列土,
可怜光彩生门户。
遂令天下父母心,
不重生男重生女。
骊宫高处入青云,
仙乐风飘处处闻。
缓歌谩舞凝丝竹,
尽日君王看不足。
渔阳鼙鼓动地来,
惊破霓裳羽衣曲。
九重城阙烟尘生,
千乘万骑西南行。
翠华摇摇行复止,
西出都门百余里。
六军不发无奈何,
宛转蛾眉马前死。
花钿委地无人收,
翠翘金雀玉搔头。
君王掩面救不得,
回看血泪相和流。
黄埃散漫风萧索,
云栈萦纡登剑阁。
峨嵋山下少人行,
旌旗无光日色薄。
蜀江水碧蜀山青,
圣主朝朝暮暮情。
行宫见月伤心色,
夜雨闻铃肠断声。
天旋地转回龙驭,
到此踌躇不能去。
马嵬坡下泥土中,
不见玉颜空死处。
君臣相顾尽沾衣,
东望都门信马归。
归来池苑皆依旧,
太液芙蓉未央柳。
芙蓉如面柳如眉,
对此如何不泪垂。
春风桃李花开日,
秋雨梧桐叶落时。
西宫南内多秋草,
落叶满阶红不扫。
梨园弟子白发新,
椒房阿监青娥老。
夕殿萤飞思悄然,
孤灯挑尽未成眠。
迟迟钟鼓初长夜,
耿耿星河欲曙天。
鸳鸯瓦冷霜华重,
翡翠衾寒谁与共。
悠悠生死别经年,
魂魄不曾来入梦。
临邛道士鸿都客,
能以精诚致魂魄。
为感君王辗转思,
遂教方士殷勤觅。
排空驭气奔如电,
升天入地求之遍。
上穷碧落下黄泉,
两处茫茫皆不见。
忽闻海上有仙山,
山在虚无缥渺间。
楼阁玲珑五云起,
其中绰约多仙子。
中有一人字太真,
雪肤花貌参差是。
金阙西厢叩玉扃,
转教小玉报双成。
闻道汉家天子使,
九华帐里梦魂惊。
揽衣推枕起徘徊,
珠箔银屏迤逦开。
云鬓半偏新睡觉,
花冠不整下堂来。
风吹仙袂飘飘举,
犹似霓裳羽衣舞。
玉容寂寞泪阑干,
梨花一枝春带雨。
含情凝睇谢君王,
一别音容两渺茫。
昭阳殿里恩爱绝,
蓬莱宫中日月长。
回头下望人寰处,
不见长安见尘雾。
惟将旧物表深情,
钿合金钗寄将去。
钗留一股合一扇,
钗擘黄金合分钿。
但教心似金钿坚,
天上人间会相见。
临别殷勤重寄词,
词中有誓两心知。
七月七日长生殿,
夜半无人私语时。
在天愿作比翼鸟,
在地愿为连理枝。
天长地久有时尽,
此恨绵绵无绝期。
Traduction par Maurice Coyaud :
Le chant des éternels regrets
L'empereur des Han, épris de plaisir sexuel
Fit chercher dans tout l'Empire bien des années une beauté, en vain.
Dans la famille Yang, une jeune fille devint nubile
Nourrie au fond du gynécée, à l'abri des regards
Céleste, superbe, difficile de la laisser à l'écart!
Un beau matin, elle est choisie pour vivre aux côtés du souverain.
Tournait-elle la tête, cents charmes naissaient d'un sourire
Dans les six palais, les têtes fardées perdaient leur éclat
Par un printemps froid, on la baigna dans l'étang Huaqing
Les eaux des sources chaudes glissèrent sur son corps
Les servantes la soutinrent toute belle et sans forces
Pour la première fois, elle reçut les immenses faveurs du souverain
Coiffure neigeuse, parures de fleurs et d'or, bougeaient quand elle marchait
Derrière les rideaux brodés d'hibiscus, tiédeur! Ils passent des nuits d'amour
Nuits d'amour, comme elles sont brèves! Le soleil est haut quand ils se lèvent
Dès lors, le souverain ne donne plus audience le matin
Faveurs accordées; elle sert au banquet du plaisir sans trêve
Ils font l'amour encore et encore toutes les nuits
Dans le gynécée du palais, vivent trois mille belles concubines
L'amour dû à ces trois mille, le souverain le reporte sur une seule
Dans la chambre ornée de dorures, elle se fait belle pour la nuit
Dans le pavillon de jade après le banquet, l'ivresse se joint au plaisir sexuel
Sœurs et frères ont tous reçu des postes et des terres
Bonheur et gloire vont à tout le clan
Alors dans le pays les pères et les mères
Cessent d'apprécier les fils, mais veulent des filles!
Le palais Li (Huaqing) accroche les nuages d'azur
Une musique d'immortels voltige, on l'entend partout
Chants languides, danses lentes, au son des cordes et des bois
Toute la sainte journée, le souverain ne se lasse pas de contempler sa dulcinée
A Yuyang soudain les tambours guerriers ébranlent le sol
Interrompent la mélodie intitulée "Robe d'arc-en-ciel, veste de plume"
Des neuf périmètres de murailles et de tours s'élèvent fumée et poussière
Avec mille chars et dix mille cavaliers l'empereur fuit vers le sud-ouest
Fanions azur au vent, le cortège tout à tour marche et s'arrête
Ils sont à un peu plus de cent li des portes quittées
Les six armées n'avancent plus ; que faire?
La femme gracile aux charmants sourcils est tuée devant les chevaux
Son diadème serti d'or jonche le sol ; personne ne le ramasse
Plumes de martins-pêcheurs, moineaux dorés, épingles de jade
L'Empereur se voila la face, n'ayant pu la sauver
Détournant le regard, il pleure des larmes de sang à flots
Un vent frais disperse la poussière jaune
Passerelles touchant les nuages, sentiers sinueux, le cortège escalade le col de l'Epée
Au pied du mont Emei, peu de passants
Les drapeaux sont ternis, le soleil brille à peine
Au pays de Shu, les rivières sont vert tendre, les montagnes bleues
Le souverain jour et nuit a des peines de cœur
Dans sa résidence d'étape, il regarde la lune, blessé par le désir d'amour
La nuit, entendant le son des clochettes dans la pluie, il a les entrailles déchirées
Le ciel tourne, la terre change, le char impérial revient
Parvenu à l'endroit, il hésite, ne peut plus s'en éloigner
Au pied du coteau Mawei, dans la boue
Il ne voit pas le visage de jade, l'endroit où elle périt est vide
Empereur et ministres se regardent, larmes de mouiller leurs habits
Ils vont vers la Porte Orientale, se fiant à leurs chevaux qui retournent
Ils retournent à l'étang, aux parcs, tout est comme avant
Hibiscus à Taiye, saule à Weiyang
Les hibiscus évoquent son visage, les saules ses sourcils
Devant ce spectacle, comment ne pas fondre en larmes?
A la brise du printemps les fleurs de pêcher et de prunier s'ouvraient au soleil
Cet automne, les feuilles de paulownia choient
Dans le palais de l'ouest et du sud, les feuilles jonchent le sol
Des feuilles mortes plein les marches rougies, non balayées!
Au jardin des poiriers, les jeunes disciples ont leurs cheveux blanchis
Dans la résidence des poivriers, eunuques et suivantes vieillissent
Au soir, dans le palais, lucioles de voltiger, souverain de penser à son amour
La lampe solitaire se consume, le prince ne s'endort toujours pas
Lentement cloches et gongs indiquent le début d'une longue nuit
Brillants étoiles et Voie lactée cèdent la place à l'aurore
Les tuiles imbriquées comme des canards mandarins sont givrées
Le prince a froid sous sa couette de martins-pêcheurs ; qui viendra la partager?
Voici déjà un an que le vivant et la morte sont séparés
Son âme n'est pas encore venue le visiter en rêve
De Linqiong, un prêtre taoïste arrive à la porte du palais
Il est capable d'atteindre les âmes de morts
Il ressent de la sympathie pour le chagrin sans fin de l'empereur
Alors, il s'efforce de tout son savoir, fait une investigation
Il traverse le ciel, chevauche les nuées, vif comme l'éclair
Il est monté au ciel, a pénétré sous terre, la cherchant partout
Il a grimpé au fond de l'azur, est tombé jusqu'aux Sources Jaunes
Des deux côtés, jusqu'au fin fond, il n'a rien trouvé
Soudain, il entend parler d'une montagne magique sur la mer
Sur cette montagne, sise dans un vide inaccessible
Sont bâtis des pavillons ciselés touchant les nuages multicolores
Y séjournent de superbes immortelles
Parmi elles, l'une s'appelle Taizhen (Très pure Essence)
Teint de neige, visage de fleur, serait-ce une erreur?
Il arrive au pavillon doré de l'ouest, frappe à la porte de jade
Ordonne à Petit Jade de l'annoncer à la suivante Shuang Cheng (Double Succès)
Apprenant que le taoïste est l'envoyé du fils du ciel
Sous les courtines aux neufs fleurs, l'âme surprise en son rêve
Ôte son vêtement, repousse l'oreiller, se lève, hésite
Puis, par les crochets d'argent soulevé, son rideau de perles s'ouvre
Les nuages de sa coiffure encore tout déviés par son récent sommeil
Son bonnet fleuri de travers, elle descend dans la salle
Au gré de la brise ondulant, ses manches de déesse flottent
Comme dans la danse des "Robes d'arc-en-ciel et manteaux de plumes"
Sur son pur visage attristé lentement des larmes coulent :
Un rameau de poirier fleuri au printemps, tout perlé de pluie
Contenant son émoi, avec un regard oblique et figé, elle rend grâce à son seigneur et maître
Depuis la séparation, son visage, sa voix, tout se perd dans le vague
Ferventes amours du palais Zhao Yang, la trame en est brisée
Dans les séjours enchantés de Penglai, jours et mois sont longs
Si le regard s'en détourne et s'abaisse vers le monde des humains
Il ne distingue pas Chang'An, la capitale, ne voit que poussière et brouillard
Que du moins ces reliques du passé témoignent d'un profond amour!
Ce drageoir incrusté de gemmes, cette épingle aux branches d'or, que le messager les emporte!
De l'épingle elle gardera une branche, du drageoir une partie
Rompant l'or pur de l'épingle, des incrustations divisent les figurent :
Si nos cœurs sont aussi constants que cet or et cette gemme
Dans les cieux ou chez les humains, nous nous reverrons.
Au mage qui repart, elle confie encore anxieuse ce message
Rappel d'un serment qu'eux deux s'étaient fait en secret :
Le 7 du septième mois, dans le palais de l'éternelle vie
Quand vers minuit, sans témoins, s'échangeaient les propos d'amour :
Faisons vœu d'être au ciel deux oiseaux au vol inséparable
Et sur terre un couple végétal à un seul feuillage
Le ciel et la terre dureront longtemps, mais un jour ils finiront
Ce regret, sans cesse, se perpétuera.
Vous pouvez aussi trouver sur le site de
l'association française des professeurs de chinois le texte en chinois traditionnel et une traduction en anglais! ^__-
Have Fun!