
Je me propose aujourd'hui de vous emmener faire un tour dans le
Jiangsu, au Nord de Shanghai. Plus exactement du côté d'une petite ville nommée
Yixing, non loin de Changzhou 常州 . Le coin ne vous dit peut-être rien, mais
Yi Xing 宜兴 est réputée en Chine pour la qualité de sa terre et de ses poteries depuis l'établissement de sa première fabrique sous la dynastie des Song (960-1279).
La richesse de cette bourgade vient de sa terre, de cette argile brune que l'on sait depuis longtemps utilisée pour l'art de la poterie. Depuis l'époque Song, la bourgade s'est développée, et c'est maintenant tout le district, ou presque, qui est connu pour ses chefs-d'oeuvre. Les lieux contiennent aussi deux autres types d'argiles utilisés, l'un rouge ou dit de couleur "cinabre" par les chinois, et l'autre dit "duanni" ou fortifiante (je n'arrive pas vraiment à traduire le terme en français, je chercherai plus tard...) que l'on utilise pour les théières de couleurs variées.

Depuis le 17e siècle, les ateliers de Yi Xing exportent leurs productions et ce sont plus d'une fois adaptés aux gouts et aux méthodes de préparation du thé des pays où leurs beaux modèles sont vendus.
Pour le Japon, les potiers ont su très tôt proposer des ensembles en terre vernissée que l'on ne trouve que très peu sur place mais bien plus à Tokyo ou Kyoto. Pour l'Europe, ils ont su produire des théières plus grandes que celles pour le Gong fu cha et, de tout temps, produire aussi bien d'autres choses que des services à thé (notamment des pots que l'on trouve dans nos jardineries en France...).
De ce fait, on ne trouve vraiment les théières traditionnelles, en France, que depuis une dizaine d'années et encore chez les spécialistes!! Et c'est d'elles principalement que je veux vous parler.
En fait, sans le savoir, vous avez certainement déjà croisé ces belles théières dans les vitrines des boutiques de thés en France, admirant leur finesse et vous amusant de leurs tailles si petites que vous les pensiez faites pour décorer une étagère.
Il est vrai qu'elles dépassent rarement les quelques 20 cm de long, queue et bec compris. On les trouve de plusieurs couleurs, souvent de couleur brune, rouge sombre voir un peu orangée. Le toucher peut être lisse à l'extérieur, mais rugueux à l'intérieur. Ce sont-elles, les vraies théières de Yi Xing.

Leur fabrication est tout un art, et c'est pour cela qu'elles sont si souvent imitées mais jamais égalées.
Et vous vous demandez certainement ce qu'elles ont de si particulier pour que les chinois, les japonais, les coréens et aujourd'hui les occidentaux se les arrachent à prix d'or.
C'est très simple. Tout le secret tient dans la production. Ce n'est pas de la porcelaine, c'est certain, mais la terre de Yi Xing est depuis plus de 1000 ans extraite en profondeur, laissée sécher au soleil, pulvérisée et stockée avant de servir à la fabrication. Ce sont des traces de fer qui, oxydées par une cuisson en réduction, lui donnent cette couleur brune. Mais aussi des traces de kaolin qui rendent ces théières si résistantes.

Car si vous allez à Yi Xing, on vous fera forcément cette démonstration assez impressionnante : une si petite théière supportant le poids d'un homme adulte sans casser. Malheureusement, elles ne sont pas incassables, mais la structure de chaque théière est semblable à celle de la coquille d'un oeuf, répartissant le poids sans problème.
De même, on dit, et pour l'avoir fait je confirme que c'est vrai (à moins qu'il y ait un évent sur le chapeau de la théière pour laisser sortir le trop plein de vapeur), qu'une vraie théière de Yi Xing, la tête en bas, ne renverse aucune goute. Essayez avec une théière anglaise... elle va vous arroser le salon!!
Pour cette raison, les théières de YiXing sont vendues chacune en Chine avec leur certificat d'authenticité. Ce certificat reprend les deux sceaux imprimés dans l'argile avant la cuisson par le potier (le petit dans le couvercle, le gros, et parfois encore une fois le petit, sous la théière), une photo et la signature du potier et artiste, le numéro de série du modèle, la catégorie, le type d'argile, ... et j'en passe! Si l'on vous vend en Chine une soi-disante théière de Yi Xing sans son certificat, marchandez du feu de Dieu, car il est fort probable qu'elle ne soit qu'une réplique.

Mais pourquoi cette théière plutôt qu'une autre pour le thé?
Déjà, si vous êtes un grand buveur de thé vert, n'utilisez jamais de théière de Yi Xing. Pour le thé vert, une théière en porcelaine ou en céramique vernissée sera bien meilleure. L'oxyde de fer présente dans la terre et la porosité du récipient donneraient un goût amer à votre thé.
Les théières en terre brute comme celles de Yi Xing sont excellentes pour les thés semi-fermentés ou Wulong (Oolong à Taiwan) pour lesquels elles sont faites justement. Les plus petites, les plus courantes en Chine, servent à l'art du Gong fu cha, cette cérémonie du thé chinoise réalisée avec les meilleurs Wulong (du Fujian comme de Taiwan). Mais elles peuvent aussi convenir pour des thés noirs ou des thés fumés.
Contrairement à une théière en porcelaine, il ne faut jamais laver aux détergents une théière en terre brute (poreuse). Bien au contraire. Elle doit se culotter. C'est pour cela qu'en Chine elles servent généralement à un seul type de thé. Donc, on ne mélange pas.
On dit même, en Chine, qu'une théière de Yi Xing qui a toujours servi pour le même Wulong pourra, au bout d'un temps, servir du thé sans y mettre une seule feuille. Pourquoi? Parce que l'eau chaude rendra tout simplement le parfum et le tanin dont s'est imprégnée la terre.
Qu'on y croit ou pas, moralité, ne rincez vos théière de Yi Xing qu'à l'eau claire, vous économiserez du produit vaisselle et la nature vous en remerciera! Et si vous êtes riches comme Crésus, vous pourrez respecter la coutume chinoise, une théière pour chaque thé!!
Bon thé et Have fun!!